Devoirs des coeurs

PRINCIPES DE LA DÉMONSTRATION DE L’EXISTENCE DE DIEU

Pour démontrer l’existence d’un Créateur qui tira le monde du néant, nous devons établir en premier lieu la vérité des trois principes de démonstration suivants:

1. Rien ne se crée par soi-même
2. Les causes antécédentes sont en nombre limité; elles remontent toutes à un premier principe qui n’est précédé d’aucun autre
3. Tout composé est nécessairement créé

La vérité de ces trois principes permet d’établir que le monde a un Créateur qui l’a créé de rien. Je commencerai mon propos en établissant clairement ce que nous venons d’avancer.

Tout être qui naît à l’existence est soumis à l’alternative suivante: ou bien, il s’est créé lui-même ; ou bien, un autre l’a créé.

S’il s’est créé lui-même, nous retombons dans une nouvelle alternative : ou bien, il s’est créé avant d’exister ou bien après. Or, les deux sont impossibles. Car si nous disons qu’il s’est créé après avoir existé, il n’a rien créé puisqu’il existait déjà. Et, si nous disons qu’il s’est créé avant d’exister, nous parlons d’un néant ; un néant ne peut rien faire, puisqu’il n’est rien. Il est donc impossible que l’être se crée lui-même. Voici clairement établi notre premier principe de démonstration: Rien ne se crée par soi-même.

En second lieu, connaissant certainement que ce qui n’a pas de commencement n’a pas de fin, on peut affirmer que toute chose ayant une fin a aussi un commencement. Nous avons démontré que ce qui n’a pas de commencement n’a pas de fin. En effet, il est impossible dans un infini d’arriver à un point terminal. Puisque ce qui a une fin a nécessairement un commencement, toutes les fois que nous prenons conscience que les éléments de ce monde sont finis, nous savons du même coup qu’ils ont un commencement absolu. Car on ne peut remonter sans fin dans la série des causes antécédentes.

De plus, il est évident que la partie est comprise dans le tout, puisque le tout est composé de ses parties. Or, ce qui n’a pas de fin ne peut avoir de parties. En effet, ce qui caractérise la partie, c’est d’être comprise dans un tout ; elle est une mesure tirée d’une mesure, la petite étant comprise dans la grande, ainsi que l’affirme Euclide au cinquième livre de ses Éléments.

Imaginons une chose qui n’ait pas de fin. Ôtons une partie de cet infini. Ce qui en reste est, sans aucun doute, nécessairement plus petit. Si ce reste est également infini, nous nous retrouverons en présence de deux infinis de grandeur inégale. Or, cela est impossible. Si le reste est fini, ajoutons-lui la partie précédente retranchée. Le tout sera nécessairement fini. Or, par définition, nous sommes en présence d’un infini. Un infini ne peut être fini. Il y a contradiction dans les termes et impossibilité nouvelle. Donc, il est impossible de retrancher d’un infinie une partie, car toute chose composée de parties est nécessairement finie. Considérons les hommes qui sont nés depuis Noé à Moïse. Ils constituent une partie finie de l’humanité. Donc, l’humanité est nécessairement finie. S’il en est ainsi, le monde est également fini, il a nécessairement un commencement, nécessairement un principe premier. Toute chose finie a donc un principe premier nécessaire: telle est la démonstration de notre deuxième principe.

Pour démontrer notre troisième principe nous dirons:

Tout composé comprend des composants divers. Ces composants ont une antériorité naturelle sur le composé ; et l’agent causal de la composition possède nécessairement l’antériorité de nature et de temps. Or, ce qui est initial n’a pas de cause, ce qui n’a pas de cause n’a pas de commencement, ce qui n’a pas de commencement n’a pas de fin. Donc, ce qui a un commencement n’est pas éternel, mais créé, car il n’est pas de moyen terme entre éternité et la création. Ainsi, tout être composé n’est pas éternel: il est nécessairement créé.

Ainsi s’achève la justification de nos trois principes de démonstration.

Source: Livre Introduction aux devoirs des cœurs, Bahya Ibn Paqûda, traduit par André Chouraqui, Desclée de Brouwer, p.59-61