UN RÉEL, UN MÉTAPHORIQUE
Un est le nom tiré de l’unité Il s’emploie en deux sens. L’un accidentel, c’est l’un Métaphorique, l’autre essentiel l’un réel. L’un accidentel s’emploie également en deux sens. En premier lieu, l’unité de collection exprime une multiplicité d’êtres ; on dit par exemple : un genre ; le genre comprend de nombreuses espèces ; l’espèce humaine compte elle-même de nombreux individus ; et chaque homme est composé de plusieurs parties. On dit : une armée, mais cette armée est composée de nombreux soldats. On dit aussi : un décalitre, un quart, un litre. Chacune de ces expressions exprime une multiplicité et cependant on emploi le mot : un. Dans ce cas on utilise l’unité dans un sens métaphorique, car la multiplicité exprimée se confond dans une unité de collection. Multiplicité parce qu’elle suppose un grand nombre d’êtres individualisés; mais unité dans la collection.
En second lieu, il y a l’unité individuelle. Un homme n’exprime ni multiplicité ni collection mais par lui-même l’homme est un être multiple composé de matière de forme de substance et d’accidents. Il est soumis à la génération et à la corruption à la division, la composition, la séparation et au changement ; dissemblances et similitudes ont également prise sur lui. Ainsi la multiplicité pénètre encore cette réalité que nous appelons unique. Cette unité attribuée à un être, atteint en lui-même par une des formes de la multiplicité et de l’altération, est indubitablement accidentelle. C’est une unité métaphorique, non pas la véritable. Sache comprendre cela.
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L’un réel s’emploie également en deux sens, l’un abstrait, l’autre concret. Abstraitement, il est le nombre un, source et commencement de tous nombres. Il est la marque, le signe d’un commencement absolu. Tout commencement réel s’appelle un.
«Le soir vint et vint le matin : jour un », (Gen. 1:5) est-il dit du jour de la création des mondes ; non pas premier jour, mais jour un. Après le un, on dit deuxième, troisième… jusqu’à dix puis on revient, à un ; ainsi jusqu’à cent, mille et indéfiniment. C’est pourquoi on a défini le calcul : une collection d’unités.
Cette unité est dite abstraite parce que le nombre ne tombe pas sous le coup des sens, mais seulement de la pensée. Ce qui est compté est seul appréhensible par nos cinq sens ou certains d’entre eux.
L’un réel existe sous sa forme concrète : c’est l’objet qui ne peut se multiplier, s’altérer, ni changer, auquel on ne peut attribuer aucune des qualités de la matière ; infini, il n’est susceptible ni de génération ni de corruption ; ne se déplace ni ne se meut ; semblable à rien, rien ne pouvant lui être comparé ; ne s’associant à rien, il est l’un absolu, réel, cause de toute multiplicité, comme l’un abstrait est la source du multiple.
L’un réel n’a ni commencement, ni fin, ce qui commence et ce qui finit portant en soi le devenir et la corruption. Devenir, se corrompre, s’altérer, sont contraire à l’un réel ; ces qualités caractérisent la variation, donc la multiplicité. Ainsi toute similitude est un accident, et tout ce qui supporte l’accident est multiple. Par son essence propre, l’un réel est toutes manières au-dessus de l’accident.
Le contradicteur dira-t-il : « Dans l’un réel, l’unité est un accident »? Nous répondons : Dans l’un réel, l’unité n’est que la négation de la multiplicité et de tout multiple. En faisant de un l’attribut de Dieu, nous voulons simplement signifier l’exclusion de la multiplicité et du multiple : l’un réel ne s’attribue pas à ce qui entraînerait dans l’essence divine une multiplicité, une altération, une division ou un changement de quelque manière que ce soit.
Sur cela s’achève notre propos sur l’un métaphorique et l’un réel…
Et toi, pour toi-même, sache le connaître.
DIEU, UN RÉEL
Dieu est l’un réel hors duquel il n’en est point d’autre. Nous disons pour prouver cela :
Tout composé n’existe que par la synthèse et l’union de ses composants. L’unité est donc le principe de toute synthèse. D’autre part, un composé n’est concevable que par la juxtaposition de ses composants variés, puisque toute synthèse exige des éléments divers et multiples.
La multiplicité est le principe de la division. Or, la synthèse, la composition et l’agencement se retrouvent dans tout et dans chacune des parties de l’Univers, dans ses racines et ses détails. Il est donc nécessaire de retrouver partout la synthèse et la division dont les principes sont l’unité et la multiplicité.
Nous avons vu que l’unité est naturellement antérieure à la multiplicité, comme le nombre un précède tous les autres nombres. Il s’ensuit que la cause de tout multiple est, en dernière analyse, non multiple, étant donné l’antériorité de la notion de l’un, par rapport à tout multiple. Or, en remontant la série des causes, on aboutit à un terme. D’autre part, l’agent ne se reproduit pas exactement soi-même. Il est donc impossible que la cause de l’unité et de la multiplicité soit de la même essence que celles-ci ; la cause des êtres sujets au devenir n’est ni le multiple, ni l’unité du multiple. Nécessairement donc, la cause du devenir sera l’un véritable.
Nous avons précédemment établi que les causes diminuent à mesure que l’on remonte vers leur principe, jusqu’à en arriver à la source du nombre, l’un réel, le Seigneur, béni soit-il.
On sait par ailleurs que ce qui est accidentel en une chose, existe par ailleurs comme substantiel et réel, ne se séparant de son substrat qu’à la corruption de celui-ci. Par exemple, la chaleur est un accident pour l’eau, mais la substance stable du feu ; l’humidité, accidentelle dans les corps, est la substance stable de l’eau. L’accident qui survient à une chose est toujours emprunté là où il est substantiel. C’est ce que nous constatons par la chaleur, accidentelle dans l’eau, mais substance propre du feu ou dans l’humidité, accidentelle sur les objets humides, mais substance propre de l’eau. Il en va de même pour les autres choses qu’il est inutile d’analyser. C’est par ce biais que nous mènerons notre démonstration de Dieu, un réel.
Toutes les créatures sont sujettes, nous l’avons vu, à des accidents. Il est donc admis que leur cause est une substance stable et réelle où elle puise leur unité accidentelle. L’unité réelle ne se rencontre jamais en sa stabilité et sa réalité dans les créatures. Si l’on dit un genre, une espèce, un individu, une substance, un accident, un corps céleste, un être spirituel, un nombre, si l’on dit un de tout ce qui est fini et limité, il ne peut s’agir que d’une unité métaphorique, expression d’une similitude et d’une participation à un facteur commun, mais la chose demeure essentiellement multiple et variable, divisible et changeante, susceptible de croître et de diminuer, de se mouvoir, ayant une structure et une forme sujettes à tous les accidents particuliers ou généraux, qui peuvent survenir à toutes les créatures. L’un réel, en vérité, n’existe pas au sein des créatures, et ne meut s’attribuer à aucun être créé. L’unité ne s’y rencontre donc que sous forme d’accident.
D’autre part, nous avons démontré que le Créateur est un. Nous pouvons donc clairement déduire de ce qui précède que l’un métaphorique provient de l’un réel, du Créateur de toutes choses hors duquel il n’est point d’unité authentique. C’est pourquoi les caractères de l’un réel ne conviennent qu’à lui seul. La multiplicité, les accidents, les altérations, le mouvement, les similitudes ne s’appliquent pas à l’un réel, ne peuvent l’atteindre, lui dont l’être est béni, lui qui a multiplié ses œuvres merveilleuses et ses desseins envers nous, incompréhensibles, innombrables et secrets.
L’Écriture nous dit l’incommensurabilité du Seigneur. David, Isaïe, Jérémie célèbrent son ineffable unité transparente en ses œuvres.
Nous avons ainsi éclairé, élucidé l’un réel du Seigneur, du monde. Hors la sienne, toute unité est une par un aspect, mais multiplicité par un autre. Seul le Créateur est absolument un. Les pages qui précèdent doivent suffire pour cela au lecteur attentif.
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